Le Lutin

Maurice Rollinat 1846 (Châteauroux) – 1903 (Ivry-sur-Seine)



Par un soir d’hiver triste et bien de circonstance,
Un homme encor tout jeune et tout blanc de cheveux,
En ces termes, devant le plus claquant des feux,
Raconta le Lutin nié par l’assistance :

 C’est pas à vous autr’, c’est certain !
Fit-il, parlant d’une manière
À la fois nette et singulière
Qu’apparaîtra jamais l’Lutin !

     Pour ça, chez eux, par monts, par vaux,
     Partageant leur travail, leur trêve,
     Témoin d’leur sommeil et d’leur rêve,
     Faut tout l’temps vivre avec les ch’vaux !

     C’malin cavalier des Enfers
     R’cherche l’ravineux d’un’ prairie,
     L’retiré d’un’ vieille écurie,
     Un’ nuit lourde avec des éclairs.

     Moi, si j’ai pu l’voir de mon coin
     Comme j’vous vois d’vant c’te ch’minée,
     C’est qu’ tout’ les nuits, plus d’une année,
     Près d’mes bêt’ j’ai couché dans l’foin.

     Voici, soupira l’étranger,
     Articulant presque à voix basse,
     C’que dans une écurie y s’passe
     Quand c’démon-là vient s’y loger.

     C’est la plein’ nuit ! L’ciel orageux,
     Qui brouille encor sa mauvais’ lune,
     N’jette aux carreaux qu’un’ lumièr’ brune
     Comm’ cell’ des fonds marécageux.

     Vous êt’s là tout seul contr’ vos ch’vaux
     Qui dress’ en fac’ de la mangeoire
     Leur grand’ form’ rougeâtr’, blanche et noire,
     L’jarret coudé sur leurs sabots.

     Des fois, des tap’ments d’pieds mordant
     L’pavé sec du bout d’leur ferraille,
     L’broiement du foin, d’l’herbe ou d’la paille
     Sous la meule égale des dents.

     Mais, c’est si pareill’ment pareil,
     Si toujours tout l’temps la mêm’ chose
     Qu’au lieu d’vous fatiguer ça r’pose,
     Ça berc’ l’ennui, l’songe et l’sommeil.

     À part ça, tout s’tait dans la nuit...
     L’vrai silence des araignées
     Qui, bien qu’toujours embesognées,
     Trouv’ moyen d’travailler sans bruit.

     Là donc, au-d’sus — autour de vous,
     Vous r’gardez leurs longu’ toil’ qui pendent...
     À pein’ si vos oreill’ entendent
     L’tonnerre au loin, grondant très doux.

     Subit’ment, sans qu’ça s’soit trahi
     Par quéqu’ chos’ qui craque ou qui sonne
     Entr’ le Lutin !... un’ p’tit’ personne,
     Qui pousse un rir’ bref... Hi-hi-hi !

     Rien n’s’ouvre au moment qu’i’ paraît :
     F’nêtr’, port’, plafond, rien n’se déferme,
     Comm’ si l’vent qu’en apport’rait l’germe
     L’engendrait là d’un coup d’secret.

     Mais, sitôt entré, qu’ça descend
     Dans l’écurie une vapeur rouge,
     Où peureus’ment les chos’ qui bougent
     Ont l’air de trembler dans du sang.

     C’est tout nabot — v’lu comme un chien
     Et d’une paraissanc’ pas obscure,
     Puisqu’on n’perd rien d’sa p’tit’ figure
     Qu’est censément fac’ de chrétien.

     Toujours, avec son rir’ de vieux,
     Il rôde avant de s’mettre à l’œuvre,
     Dressant deux cornes en couleuvre
     Qui r’luis’ aux flamm’ de ses p’tits yeux.

     Brusque, en l’air vous l’voyez marcher...
     Sans aile il y vol’ comme un’ chouette...
     S’tient sus l’vide après chaqu’ pirouette
     Comm’ s’i’ r’tombait sur un plancher.

     Et le Lutin fait ses sabbats,
     Faut qu’i’ r’gard’ tout, qu’i’ sent’, qu’i’ touche,
     Court les murs avec ses pieds d’mouche,
     Glisse au plafond la tête en bas.

     Maint’nant, au travail ! Comme un fou
     Vers les ch’vaux le voilà qui file,
     À tous leur nouant à la file
     Les poils de la tête et du cou.

     Dans ces crins tordus et vrillés
     Va comme un éclair sa main grêle,
     Dans chaqu’ crinière qu’il emmêle
     Il se façonn’ des étriers.

     Puis, tel que ceux du genre humain,
     L’une après l’autre, i’ mont’ chaqu’ bête,
     À ch’val sur l’cou — tout près d’la tête,
     En t’nant un’ oreill’ de chaqu’ main.

     Alors, i’s’fait un’ grand’ clarté
     Au milieu de c’te lumièr’ trouble...
     L’mauvais rir’ du Lutin redouble,
     Et ça rit de tous les côtés.

     Son rir’ parle — on l’entend glapir :
     « Hop ! hop ! » Les ch’vaux galop’ sur place,
     Mais roid’ comm’ s’ils étaient en glace
     Et sans autr’ bruit qu’un grand soupir.

     Et tandis qu’une à une, alors,
     Leurs gross’ larm’ lourdement s’égrènent...
     On voit — les sueurs vous en prennent
     Danser ces ch’vaux qui paraiss’nt morts.

     Puis, comm’ c’était v’nu ça s’en va.
     L’écurie en mêm’ temps s’rassure :
     Tout’ la ch’valin’ remâche en
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Submitted on May 13, 2011

Modified on March 05, 2023

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Stanza Lengths 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 3

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    "Le Lutin" Poetry.com. STANDS4 LLC, 2024. Web. 16 Apr. 2024. <https://www.poetry.com/poem/27737/le-lutin>.

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