La Morte embaumée

Maurice Rollinat 1846 (Châteauroux) – 1903 (Ivry-sur-Seine)



Pour arracher la morte aussi belle qu’un ange
          Aux atroces baisers du ver,
Je la fis embaumer dans un boîte étrange.
          C’était par une nuit d’hiver :

On sortit de ce corps glacé, roide et livide,
          Ses pauvres organes défunts,
Et dans ce ventre ouvert aussi saignant que vide
          On versa d’onctueux parfums,

Du chlore, du goudron et de la chaux en poudre ;
          Et quand il en fut tout rempli,
Une aiguille d’argent réussit à le coudre
          Sans que la peau fit un seul pli.

On remplaça ses yeux où la grande nature
          Avait mis l’azur de ses ciels
Et qu’aurait dévorés l’infecte pourriture,
          Par des yeux bleus artificiels.

L’apothicaire, avec une certaine gomme,
          Parvint à la pétrifier ;
Et quand il eut glapi, gai, puant le rogomme :
          « Ça ne peut se putréfier !

« J’en réponds. Vous serez troué comme un vieil arbre
          « Par les reptiles du tombeau,
« Avant que l’embaumée, aussi dure qu’un marbre,
          « Ait perdu le moindre lambeau ! »

Alors seul, je peignis ses lèvres violettes
          Avec l'essence du carmin,
Je couvris de bijoux, d'anneaux et d’amulettes
          Son cou svelte et sa frêle main.

J’entrouvris sa paupière et je fermai sa bouche
          Pleine de stupeur et d’effroi ;
Et, grave, j’attachai sa petite babouche
          À son pauvre petit pied froid.

J’enveloppai le corps d’un suaire de gaze,
          Je dénouai ses longs cheveux,
Et tombant à genoux je passai de l’extase
          Au délire atroce et nerveux.

Puis, dans un paroxysme intense de névroses
          Pesantes comme un plomb fatal,
Hagard, je l’étendis sur un long tas de roses
          Dans une bière de cristal.

L’odeur cadavérique avait fui de la chambre,
          Et sur les ors et les velours
Des souffles de benjoin, de vétyver et d’ambre
          Planaient chauds, énervants et lourds.

Et je la regardais, la très chère momie :
          Et ressuscitant sa beauté,
J’osais me figurer qu’elle était endormie
          Dans les bras de la volupté.

Et dans un caveau frais où conduisent des rampes
          De marbre noir et d’or massif,
Pour jamais, aux lueurs sépulcrales des lampes,
          Au-dessous d’un crâne pensif,

La morte en son cercueil transparent et splendide,
          Narguant la putréfaction,
Dort, intacte et sereine, amoureuse et candide,
          Devant ma stupéfaction.
  

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Submitted on May 13, 2011

Modified on March 05, 2023

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Stanza Lengths 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4, 4

Maurice Rollinat

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    "La Morte embaumée" Poetry.com. STANDS4 LLC, 2024. Web. 29 Mar. 2024. <https://www.poetry.com/poem/27620/la-morte-embaumée>.

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