La Laveuse



Voici l’heure où les ménagères
              Guettent le retour des bergères.
Avec des souffles froids et saccadés, le vent
Fait moutonner au loin les épaisses fougères
              Dans le jour qui va s’achevant.

              Là-bas sur un grand monticule
              Un moulin à vent gesticule.
Les feuilles d’arbre ont des claquements de drapeaux,
Et l’hymne monotone et doux du crépuscule
              Est entonné par les crapauds.

              Des silhouettes désolées
              Se convulsent dans les vallées,
Et, sur les bords herbeux des routes sans maisons,
Les mètres de cailloux semblent des mausolées
              Qui donnent parmi les gazons.

              Déjà plus d’un hibou miaule,
              Et le pâtre, armé d’une gaule,
Par des chemins boueux, profonds comme des trous,
S’en va passer la nuit sur l’herbe, au pied d’un saule,
              Avec ses taureaux bruns et roux.

              Dans la solitude profonde
              Les vieux chênes à tête ronde,
Fantastiques, ont l’air de vouloir s’en aller
Au fond de l’horizon, que le brouillard inonde,
              Et qui paraît se reculer.

              Mais les choses dans la pénombre
              Se distinguent : figure, nombre
Et couleur des objets inertes ou bougeurs,
Tout cela reste encor visible, quoique sombre,
              Sous les nuages voyageurs.

              Or, à cette heure un peu hagarde,
              Je longe une brande blafarde,
Et pour me rassurer je chante à demi-voix,
Lorsque soudain j’entends un bruit sec. — Je regarde,
              Pâle, et voici ce que je vois :

              Au bord d’un étang qui clapote,
              Une vieille femme en capote,
A genoux, les sabots piqués dans le sol gras,
Lave du linge blanc et bleu qu’elle tapote
              Et retapote à tour de bras.
              — « Par où donc est-elle venue,
              « Cette sépulcrale inconnue ? »
Et je m’arrête alors, pensif et répétant,
Au milieu du brouillard qui tombe de la nue.
              Ce soliloque inquiétant.

              Œil creux, nez crochu, bouche plate,
              Sec et mince comme une latte,
Ce fantôme laveur d’un âge surhumain,
Horriblement coiffé d’un mouchoir écarlate,
              Est là, presque sur mon chemin.

              Et la centenaire aux yeux jaunes,
              Accroupie au pied des grands aunes,
Sorcière de la brande où je m’en vais tout seul,
Frappe à coups redoublés un drap, long de trois aunes,
              Qui pourrait bien être un linceul.

              Alors, tout à l’horreur des choses
              Si fatidiques dans leurs poses,
Je sens la peur venir et la sueur couler,
Car la hideuse vieille en lavant fait des pauses
              Et me regarde sans parler.

              Et le battoir tombe et retombe
              Sur cette nappe de la tombe,
Mêlant son diabolique et formidable bruit
Aux sifflements aigus du vent qui devient trombe ;
              Et tout s’efface dans la nuit.

              — « Si loin ! pourvu que je me rende ! »
              Et je me sauve par la brande
Comme si je sentais la poursuite d’un pas ;
Et dans l’obscurité ma terreur est si grande
              Que je ne me retourne pas.

              Ici, là, fondrière ou flaque,
              Complices de la nuit opaque !
Et la rafale beugle ainsi qu’un taureau noir,
Et voici que sur moi vient s’acharner la claque
              De l’abominable battoir.

              Enfin, ayant fui de la sorte
              A travers la campagne morte,
J’arrive si livide, et si fou de stupeur
Que lorsque j’apparais brusquement à la porte
              Mon apparition fait peur !
  

Font size:
Collection  PDF     
 

Submitted on May 13, 2011

Modified on March 05, 2023

2:35 min read
65

Quick analysis:

Scheme AABAB CCACA DDADA CCACE BBFBF FFAFA BBABA BXGBGEHIHI XXHBH AACAC AJFJF KKBKB XLMLM NNXNF BBFXF
Closest metre Iambic pentameter
Characters 3,664
Words 519
Stanzas 15
Stanza Lengths 5, 5, 5, 5, 5, 5, 5, 10, 5, 5, 5, 5, 5, 5, 5

Maurice Rollinat

 · 1846 · Châteauroux
 · 1903 · Ivry-sur-Seine

Maurice Rollinat was a French poet. more…

All Maurice Rollinat poems | Maurice Rollinat Books

3 fans

Discuss the poem La Laveuse with the community...

0 Comments

    Translation

    Find a translation for this poem in other languages:

    Select another language:

    • - Select -
    • 简体中文 (Chinese - Simplified)
    • 繁體中文 (Chinese - Traditional)
    • Español (Spanish)
    • Esperanto (Esperanto)
    • 日本語 (Japanese)
    • Português (Portuguese)
    • Deutsch (German)
    • العربية (Arabic)
    • Français (French)
    • Русский (Russian)
    • ಕನ್ನಡ (Kannada)
    • 한국어 (Korean)
    • עברית (Hebrew)
    • Gaeilge (Irish)
    • Українська (Ukrainian)
    • اردو (Urdu)
    • Magyar (Hungarian)
    • मानक हिन्दी (Hindi)
    • Indonesia (Indonesian)
    • Italiano (Italian)
    • தமிழ் (Tamil)
    • Türkçe (Turkish)
    • తెలుగు (Telugu)
    • ภาษาไทย (Thai)
    • Tiếng Việt (Vietnamese)
    • Čeština (Czech)
    • Polski (Polish)
    • Bahasa Indonesia (Indonesian)
    • Românește (Romanian)
    • Nederlands (Dutch)
    • Ελληνικά (Greek)
    • Latinum (Latin)
    • Svenska (Swedish)
    • Dansk (Danish)
    • Suomi (Finnish)
    • فارسی (Persian)
    • ייִדיש (Yiddish)
    • հայերեն (Armenian)
    • Norsk (Norwegian)
    • English (English)

    Citation

    Use the citation below to add this poem to your bibliography:

    Style:MLAChicagoAPA

    "La Laveuse" Poetry.com. STANDS4 LLC, 2024. Web. 3 Dec. 2024. <https://www.poetry.com/poem/27603/la-laveuse>.

    Become a member!

    Join our community of poets and poetry lovers to share your work and offer feedback and encouragement to writers all over the world!

    December 2024

    Poetry Contest

    Join our monthly contest for an opportunity to win cash prizes and attain global acclaim for your talent.
    28
    days
    5
    hours
    16
    minutes

    Special Program

    Earn Rewards!

    Unlock exciting rewards such as a free mug and free contest pass by commenting on fellow members' poems today!

    Quiz

    Are you a poetry master?

    »
    "It's neither red nor sweet. It doesn't melt or turn over, break or harden, so it can't feel pain."
    A Marianne Moore
    B Billy Collins
    C Anne Sexton
    D Rita Dove